Elle c'est Moi

Quelque chose me rend encore plus heureux que ta sortie de l'hôpital aujourd'hui. C'est le fait qu'on t'ait enfin enlevé ce fameux cathéter posé il y a 6 mois. Cathéter par lequel ont transité un nombre incalculable de litres de produits hautement toxiques dans un sens et de ton sang dans l'autre. Sans parler des litres de sang et de plaquettes offerts par d'innombrabes et inremerciables sauveteurs anonymes (qui méritent bien la création d'un nouvel adjectif).

A l'hôpital, il était le garant de ta survie. Mais entre les cures, lorsque tu rentrais à la maison pour quelques semaines de repos, c'était ton bracelet électronique. Même en dehors de la prison, il te marquait comme une détenue en liberté conditionnelle. Il te rappelait, il nous rappelait, à tout instant que tu n'étais qu'en permission.

Cette fois-ci, tu es libre! Tu n'es pas allée au bout de la sentence qui t'avait été infligée en février. Malheureusement, la sentence, qui pour toi a été allégée, s'est transformée en peine capitale  pour d'autres.

Aujourd'hui, un prêtre est sorti de l'ascenceur. Il portait une croix de bois bien visible autour du cou. Ses yeux en disaient long sur la mission à venir. Nous l'avons juste croisé. Il sortait de l'ascenseur alors que nous descendions tous les deux vers la cafétéria mais il ne m'a pas quitté de la soirée. Ce n'est pas pour toi qu'il est venu, ma chérie. Mais ça m'a quand même glacé le sang de l'apercevoir. Pour la personne et la famille qu'il est venu soutenir, il est le messager qui fait en sorte que le condamné pour les médecins  ne le soit pas aux yeux de dieu. Pour moi, par contre, il est la violente réalisation d'un potentiel que je dissimule depuis six mois.

Tu viens juste d'être libérée de ta chambre stérile. Ironiquement, ton amie vient, elle aussi, d'être libérée. Vous aviez partagé la même chambre et les mêmes espoirs de gurérison il y a exactement six mois aujourd'hui. Vous étiez toutes les deux rentrées pour les mêmes raisons mais vous avez finalement emprunté des issues différentes. Votre brève et belle amitié prend à la fois fin et tout son sens aujourd'hui. Il ne s'agit pas d'un échec contre une réussite, il ne s'agit pas d'un décès contre une guérison. Il s'agit d'une seule et même histoire. Alors que tu t'apprêtes à recevoir ton ultime ponction, elle reçoit l'extreme onction.

Aujourd'hui, tu es "sortie d'aplasie". Cette expression qui n'avait absolument aucun sens il y  a  6 mois, signifie énormément pour nous deux aujourd'hui.

Cela signifie tout simplement que tu peux te défendre toute seule comme une grande. Cela signifie que la ligne inviolable qui entourait ton lit vient de s'effacer. Le masque et les gants que l'on m'imposait viennent de perdre leur utilité et tes lèvres viennent de retrouver la leur.

Tu viens de me l'annoncer  au téléphone. Je saute dans la voiture. Je mets l'autoradio à fond et je fonce vers l'hôpital où je vais enfin pouvoir t'embrasser et te toucher. Coincidence: le  rythme saccadé et enjoué de la guitare électrique de Bruno Mars vient élargir mon sourire:

"You make me feel like - I've been locked out of heaven - For too long - For too long"

Je me demande si  les auteurs se rendent compte à quel point leurs mots ont parfois le pouvoir incroyable de s'extraire de  leur signification originelle pour venir se loger dans un contexte qui leur est complètement étranger au départ.

Gémeau:

Numéros chance: tous sauf le 13.

Travail: ne faites pas trop de projets professionnels. Vous vivrez cette année au  jour le jour.

Amour: vous aurez cette année l'opportunité de vous rendre compte à quel point vous tenez à  votre femme.

Santé: prenez soin de votre santé et de celle de vos proches.

Cancer:

Numéros chance: tous sauf le 13.

Travail: un léger contretemps vous obligera à mettre temporairement votre activité professionnelle de côté.

Amour: vous aurez, cette année plus que jamais, besoin de l'amour de tous vos proches.

Santé: cette année, vous allez faire honneur à votre signe du zodiaque.

Après deux heures passées à l'hôpital, petit footing dans la forêt en ce début de soirée d'été. Les violents orages d'hier ont déposé tout leur poids sur la terre. T-shirt trempé, baskets boueuses, jambes lourdes, tête vidée, je suis sur la route du retour, le bras gauche nonchalamment posé sur le rebord de la portière. La voiture file, toutes vitres ouvertes, entre les champs de vigne. Je me fais mon vidéo-clip. La lumière dorée se reflète dans mon rétroviseur. La voix chaleureuse de Lana del Rey remplit l'habitacle, gonfle mon coeur et pousse l'aiguille vers la deuxième moitié du compteur. J'ai même droit à un bel arc-en-ciel. Tu le vois depuis ta chambre?

"I've got that summertime,  summertime sadness"...

Aujourd'hui une graine est semée. Elle va prendre et elle va donner naissance à une nouvelle vie. Si tout se passe bien, une nouvelle épreuve nous attend: Celle de re-prendre notre vie. On ne pourra certainement pas la reprendre exactement là où on l'avait laissée le 13 février dernier. Je crois que c'est une chance à saisir. Même si, depuis l'annonce du diagnostic, j'ai souvent eu un sentiment de mutilation, je commence à comprendre que rien ne nous a été enlevé. C'est au contraire quelque chose qui nous a été donné. Je n'ai pas envie de commencer à me demander ni par qui ni pourquoi cela nous a été donné mais une chose est sûre, c'est que j'ai sérieusement envie d'ajouter ce bonus à notre vie. 

Ceci dit, je ne pense pas que cela soit si facile à faire. Je pense que cela va nécessiter un effort de notre part. Ca ne se fera pas naturellement. Il ne suffit pas de dire comme dans les reportages télé avec le piano et les violons en arrière plan: "Cette épreuve a été une bénédiction dans notre vie". Il nous restera - une fois que cette épreuve sera complètement surmontée - à la TRANSFORMER en bénédiction. Je ne sais pas s'il est trop tôt pour y penser mais ça commence déjà à me trotter dans l'esprit. J'ai pas envie de rater ça. Mais, patience; pour semer correctement, ne pas mettre la charrue avant les boeufs.

En attendant, encore une fois, moi, je ne peux pas faire grand-chose. Alors je me contente d'arroser tes plantes à la maison pour qu'elles soient bien vertes le jour de ton retour.

Etrange ressemblance entre le visage ensanglanté du cheminot espagnol extirpé des entrailles de sa meurtrière locomotive et celui du Christ descendu de sa croix.

Cette fatidique station de chemin de fer offre un troublant echo à la treizième station  du chemin de croix.

Quel bonheur de voir le pape aux JMJ de Rio. Quel bonheur de savoir que tant d'handicapés vont enfin pouvoir se lever de leur  fauteuil roulant pour applaudir leur idole. Ca me rappelle la gaffe d'un autre François (chanteur celui-là) qui avait demandé, lors d'un téléthon, à des enfants en fauteuil roulant du premier rang de se lever pendant qu'il chantait!!!

Quand au François du  Vatican, lors de sa première messe au Brésil, il a mis en garde ses fidèles contre les "idoles éphémères". Tout ça après une arrivée sur scène digne d'un concert de Queen!! 

Quel bonheur aussi de savoir que tant de malades vont enfin pouvoir jeter leurs perfusions à la poubelle après leur rencontre avec le saint père.

Pour moi, les "idoles éphèmères" présentent un gros avantage sur les idoles permanentes en ceci qu'elles partent vite et qu'elles ont donc moins le temps de nuire.... 

Les lois contre le tabagisme passif devraient englober la fumée blanche de la chapelle sixtine.

"Mon dieu", que ma chérie ne lise pas ces lignes... je risque l'exdomiciliation !

Les docteurs ne préfèrent pas parler de guérison trop vite. Alors ils ont inventé le terme - bien pratique - de rémission. En gros, on pourra  parler de guérison dans 5, 6 ou 7 ans.

C'est un peu comme sur le tour de France, on gagne le Tour en 2013 mais on risque de tout perdre dans 5, 6 ou 7 ans, selon les progrès de la science. Il faudrait inventer un terme - équivalent sportif à celui de "rémission" - pour désigner une victoire avant résultats anti-dopage définitifs. Ou  éventuellement jouer sur les couleurs: décerner un maillot orange sur  les Champs au coureur qui vient de gagner le Tour et attribuer, le même jour, le maillot jaune définitif au coureur d'il y a 7 ans, si ses analyses sont claires.

Concernant ma chérie (qui ne fait  pas de vélo - mis à part celui que les infirmières ont installé dans sa chambre stérile), je lui attribue sans hésiter le maillot rouge de la combativité. Le jaune (définitif) est pour bientôt.

La vie est une chute libre depuis le toit d'un gratte-ciel haut de cent-dix étages. L'enfance occupe les cent premiers étages. Après, ça file très vite. Pour les croyants, des pompiers vêtus d'une soutane noire se tiennent prêts dans la rue autour d'un matelas salvateur. Pour les autres, voir le titre...